26. Le rôle de l’Allemagne dans la culture européenne
August Wilhelm Schlegel (1767–1845xxxii), homme de lettres du Romantisme allemand et ami de Germaine de Staël, analyse, dans son traité de critique littéraire Abrisse von den europäischen Verhältnissen der deutschen Literatur (vers 1828), le rôle de la littérature allemande dans la culture européenne.
L’Allemagne, alors qu’elle se trouve au cœur de l’Europe, non seulement d’un point de vue géographique mais aussi intellectuel, est toujours une terra incognita, même pour ses voisins les plus proches. Cette façon d’être a en effet ses avantages : tous les souverains voyagent incognito parce qu’ils trouvent agréable la possibilité de faire la connaissance de gens sans révéler leur propre identité. J’ose prétendre ainsi que nous sommes les gens les plus cosmopolites de l’Europe : nous ne demandons même pas dans quel pays on a trouvé une nouvelle vérité. Aucune partialité ou limite ne nous empêche de reconnaître et d’utiliser immédiatement un quelconque progrès dans les sciences réalisé dans n’importe quel pays. Nous n’avons jamais été gâtés d’une admiration exagérée par nos voisins qui nous aurait poussés à développer un orgueil national comme cela fut le cas au désavantage de nos voisins d’outre-Rhin. Cela est le moindre de nos soucis. Mais nous ne nous soucions pas non plus de leur critique, car nous savons d’avance qu’il naît généralement de leur ignorance ou de préjugés bien enracinés ou de leurs habitudes. […]
L’Europe d’aujourd’hui a acquis sa maturité par le riche héritage intellectuel que nous léguèrent la Grèce et les Romains ; par la Réforme et les conflits d’opinions qu’elle nous laissa et qui durèrent des siècles. Il s’agit aussi d’opinions qui, à première vue, n’ont aucun rapport avec la religion et la constitution de l’Église. L’Europe a acquis sa maturité par le développement extraordinaire des sciences à travers les siècles ; enfin par l’ère des découvertes entamées par Christophe Colomb et Vasco de Gama et presque menées à terme entretemps. Il en résulta la possibilité de connaître et d’être en commerce avec tous les êtres humains habitant cette planète.
August Wilhem Schlegel, Résumé des rapports européens de la littérature allemande (vers 1828).