Marie Leprince de Beaumont (1711–1780xxxix ?), éducatrice, journaliste, romancière et pédagogue, conçoit dans ses dialogues éducatifs comme le Magasin des enfants (1756) et le Magasin des adolescentes (1760) un enseignement vaste destiné aux filles. Son programme comprend l’étude de la religion comme des leçons de biologie, de physique, d’histoire, de droit, de philosophie et ainsi de suite. Dans cette leçon de géographie consacrée à l’Amérique, la gouvernante, Mademoiselle Bonne, qui s’adresse à de jeunes élèves, dénonce, implicitement, le colonialisme européen et défend la relativité culturelle.
Miss Sophie
Ma Bonne, j’ai entendu dire qu’il y a des peuples qui tuent leurs pères quand ils sont vieux, et qui les mangent ensuite, cela est-il vrai ?
Mademoiselle Bonne
Les Iroquois, peuples qui habitent dans l’Amérique septentrionale, le faisaient autrefois, mais à présent ils ne le font plus. N’allez pas croire, mes enfants, qu’ils fissent cela par méchanceté. Tout au contraire, quand les Européens vinrent dans leur pays, et qu’ils surent que chez nous on laissait vivre les vieilles gens, et qu’on les enterrait ensuite, ils nous trouvèrent fort cruels. Quelle barbarie, disaient-ils, de laisser souffrir des personnes qui nous ont donné la vie, et de les jeter ensuite dans un trou pour être mangés des vers. Nous avons bien plus d’amour pour nos parents, ajoutaient-ils ; nous leur épargnons les incommodités dans une grande vieillesse, et nous leur donnons notre estomac pour tombeau. En mangeant la chair de nos pères, nous nous rendons présentes les belles actions, et nous faisons passer leur courage en nous, et en nos petits-enfants.
Marie Leprince de Beaumont, Magasin des adolescentes ou Dialogues entre une sage gouvernante, et plusieurs de ses élèves de la première distinctionxl (1760).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1760) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5773041g
Pour écouter le livre audio : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5773041g/f2.vocal