Dans son Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanitélxiii, Johann Gottfried Herder s’interroge sur les enjeux et conséquences de l’eurocentrisme. Il met en garde contre une myopie qui ferait juger l’Europe supérieure par essence au reste du monde et estime que la mesure du bonheur ne doit pas être à sens unique.
Une absurde vanité serait d’imaginer que tous les habitants du monde doivent être Européens pour être heureux ; et nous-mêmes, serions-nous devenus, hors de l’Europe, ce que nous sommes maintenant ? […]
Ainsi, la différence qui existe entre les nations éclairées et non éclairées, cultivées et non cultivées, loin d’être absolue, ne consiste que dans le plus ou le moins. Cette portion du tableau des peuples est marquée d’une infinité d’ombres, qui changent avec le lieu et le temps ; et, comme dans tout autre tableau, l’effet dépend beaucoup du point de vue sous lequel on l’examine. Si nous prenons pour type l’idée de la civilisation européenne, nous ne la rencontrerons qu’en Europe ; et si nous établissons des distinctions arbitraires entre la culture sociale et les lumières de la pensée qui ne peuvent, là où elles sont réellement exister séparément, nous allons nous perdre plus avant encore dans les nuages. Mais si, nous bornant à la sphère terrestre, nous considérons en général l’ensemble que la nature, à qui la destination et le caractère de ses créatures doivent être bien connus, présente à nos regards dans le spectacle de l’éducation de l’humanité, nous ne trouvons partout que la tradition d’une éducation qui a pour but le bonheur et le perfectionnement de l’homme sous des formes variées. C’est un principe aussi étendu que l’espèce humaine toute entière […].
Rien n’est donc plus vain que la prétention d’un grand nombre d’Européens, qui marquent eux-mêmes leur place au-dessus de tous les peuples du monde, dans ce qu’ils appellent les arts, les sciences et la civilisation. […]
Johann Gottfried Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité (1784–1791).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1828) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k68507x
Pour écouter le livre audio : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k68507x/f8.vocal
Pour lire le texte original en ligne (édition allemande de 1786) : https://books.google.co.uk/books?id=GegOAAAAQAAJ &printsec=frontcover