51. Navigation et échanges commerciaux
Dans son Histoire du règne de l’empereur Charles-Quint (1769lxvi), très lue dans toute l’Europe, William Robertson (1721–1793), figure importante des Lumières écossaises, retrace un large panorama des « progrès de la société en Europe, depuis la destruction de l’Empire Romain jusqu’au commencement du seizième Siècle ». Il insiste à plusieurs reprises sur les vertus de la coopération commerciale et culturelle.
Le commerce, qui faisait chaque jour des progrès sensibles, concourut aussi à polir les mœurs des peuples d’Europe et à y introduire une bonne jurisprudence, une police régulière et des principes d’humanité. Dans la naissance et l’état primitifs de la société, les besoins des hommes sont en petit nombre et leurs désirs si limités qu’ils se contentent aisément des productions naturelles de leur climat et de leur sol, et de ce qu’ils peuvent y ajouter par leur simple et grossière industrie. Ils n’ont rien de superflu à donner, rien de nécessaire à demander. Chaque petite communauté subsiste du fonds qui lui appartient ; et satisfaite de ce qu’elle possède, ou elle ne connaît point les États qui l’environnent, ou elle est en querelle avec eux. II faut, pour qu’il s’établisse une libre communication entre des peuples différents, que la société et les mœurs aient acquis un certain degré de perfection, et qu’il y ait déjà des règlements pour affermir l’ordre public et la sûreté personnelle. Nous voyons aussi que le premier effet de rétablissement des barbares dans l’Empire, fut de diviser les nations que la puissance romaine avait unies. L’Europe fut morcelée en plusieurs États distincts, et pendant plusieurs siècles, toute communication entre ces États divisés fut presque entièrement interrompue. Les pirates couvraient les mers et rendaient la navigation dangereuse, et en arrivant dans des Ports étrangers il y avait peu de secours et même de sûreté à attendre de la part de ces peuples féroces. Les habitants des parties éloignées du même royaume, ne pouvaient même que difficilement avoir quelque communication entre eux. Un voyage un peu long était une expédition périlleuse, dans laquelle on avait à craindre et la violence des bandits qui infestaient les chemins, et les exactions insolentes des nobles, presque aussi redoutables que les brigands. Ainsi la plupart des habitants de l’Europe, enchaînés par toutes ces circonstances réunies au lieu où le sort les avait fixés, ignoraient jusqu’aux noms, à la situation, au climat et aux productions des pays éloignés d’eux.
Différentes causes se réunirent pour ranimer l’esprit de commerce et pour rouvrir en partie la communication entre les nations diverses. Les Italiens, par leurs relations avec Constantinople et les autres villes de l’Empire Grec, avaient conservé quelque goût pour les arts et pour les précieuses productions de l’orient ; ils en communiquèrent la connaissance à d’autres peuples, voisins de l’Italie. Cependant il ne se faisait encore qu’un commerce médiocre, qui n’établissait entre les différents États que des liaisons très bornées.
Les croisades, en conduisant en Asie des armées nombreuses tirées de toutes les parties de l’Europe, ouvrirent entre l’orient et l’occident une communication plus étendue, qui subsista pendant plusieurs siècles, et quoique les conquêtes et non le commerce fussent l’objet de ces expéditions, quoique l’issue en eût été aussi malheureuse que le motif en avait été bizarre et déraisonnable, il en résulta cependant, comme on l’a déjà vu des effets très heureux et très durables pour le progrès du commerce. Tant que dura la manie des croisades, les grandes villes d’Italie et des autres pays de l’Europe acquirent la liberté, et avec elle des privilèges qui les rendirent autant de communautés indépendantes et respectables. Ainsi l’on vit se former dans chaque royaume un nouvel ordre de citoyens, qui se vouèrent au commerce et s’ouvrirent par-là une route aux honneurs et à la richesse.
Peu de temps après la fin de la guerre on découvrit la boussole, qui, en rendant la navigation plus assurée et en même temps plus audacieuse, facilita la communication entre les nations éloignées, et les rapprocha pour ainsi dire l’une de l’autre.
William Robertson, Histoire du règne de l’empereur Charles-Quint, Précédée d’un Tableau des progrès de la Société en Europe,
depuis la destruction de l’Empire Romain jusqu’au commencement du seizième Siècle (1769).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1771) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1161024
Pour écouter le livre audio : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1161024/f5.vocal
Pour lire le texte original en ligne (édition anglaise de 1769) : https://archive.org/details/historyreignemp27robegoog