L’idéal d’une union au-delà des frontières, grâce aux communications entre les savants, mais aussi, plus largement, les êtres de bonne volonté, est mis en évidence par Germaine de Staël à la fin de la troisième partie de son important traité De l’Allemagne (1813).
Comment pourrait-on, sans la connaissance des langues, sans l’habitude de la lecture, communiquer avec ces hommes qui ne sont plus, et que nous sentons si bien nos amis, nos concitoyens, nos alliés ? Il faut être médiocre de cœur pour se refuser à de si nobles plaisirs. Ceux-là seulement qui remplissent leur vie de bonnes œuvres peuvent se passer de toute étude : l’ignorance, dans les hommes oisifs, prouve autant la sécheresse de l’âme que la légèreté de l’esprit.
Enfin, il reste encore une chose vraiment belle et morale, dont l’ignorance et la frivolité ne peuvent jouir : c’est l’association de tous les hommes qui pensent, d’un bout de l’Europe à l’autre. Souvent ils n’ont entre eux aucune relation ; ils sont dispersés souvent à de grandes distances l’un de l’autre ; mais quand ils se rencontrent, un mot suffit pour qu’ils se reconnaissent. Ce n’est pas telle religion, telle opinion, tel genre d’étude, c’est le culte de la vérité qui les réunit. Tantôt, comme les mineurs, ils creusent jusqu’au fond de la terre, pour pénétrer, au sein de l’éternelle nuit, les mystères du monde ténébreux ; tantôt ils étudient les langues de l’Orient, pour y chercher l’histoire primitive de l’homme ; tantôt ils vont à Jérusalem pour faire sortir des ruines saintes une étincelle qui ranime la religion et la poésie ; enfin, ils sont vraiment le peuple de Dieu, ces hommes qui ne désespèrent pas encore de la race humaine, et veulent lui conserver l’empire de la pensée.
Germaine de Staël, De l’Allemagne (1813).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1841) : https://books.google.mu/books?id=pEZbAAAAQAAJ &printsec=frontcover