70. La fin des guerres en Europe ?
Benjamin Constant (1767–1830lxxxiv), dans De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne (1814lxxxv), inclut un chapitre intitulé « De l’esprit de conquête dans l’état actuel de l’Europe ». Il revient sur une idée qui lui est chère : l’époque des guerres est (ou devrait être) révolue.
Un gouvernement qui voudrait aujourd’hui pousser à la guerre et aux conquêtes un peuple européen, commettrait donc un grossier et funeste anachronisme. Il travaillerait à donner à sa nation une impulsion contraire à la nature. Aucun des motifs qui portaient les hommes d’autrefois à braver tant de périls, à supporter tant de fatigues, n’existant pour les hommes de nos jours, il faudrait leur offrir d’autres motifs, tirés de l’état actuel de la civilisation, il faudrait les animer aux combats par ce même amour des jouissances, qui, laissé à lui-même, ne les disposerait qu’à la paix. Notre siècle, qui apprécie tout par l’utilité, et qui, lorsqu’on veut le sortir de cette sphère, oppose l’ironie à l’enthousiasme réel ou factice, ne consentirait pas à se repaître d’une gloire stérile, qu’il n’est plus dans nos habitudes de préférer à toutes les autres. À la place de cette gloire, il faudrait mettre le plaisir, à la place du triomphe, le pillage. L’on frémira, si l’on réfléchit à ce que serait l’esprit militaire, appuyé sur ces seuls motifs.
Benjamin Constant, De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne (1814).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1814) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1157300
Pour écouter le livre audio : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1157300/f4.vocal