73. Hégémonie politique et union européenne
Napoléon à Sainte-Hélène évoque la dimension pan-européenne de son projet politique devant Las Cases et montre que, pour lui, le projet d’un grand Empire avait des enjeux sur des plans multiples mais constituait aussi une occasion historique sans précédent.
Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont dissous, morcelés les révolutions et la politique. Ainsi, l’on compte en Europe, bien qu’épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d’Espagnols, quinze millions d’Italiens, trente millions d’Allemands : j’eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation. C’est avec un tel cortège qu’il eût été beau de s’avancer dans la postérité et la bénédiction des siècles. Je me sentais digne de cette gloire.
Après cette simplification sommaire, il eût été plus possible de se livrer à la chimère du beau idéal de la civilisation : c’est dans cet état de choses qu’on eût trouvé plus de chances d’amener partout l’unité des codes, celle des principes, des opinions, des sentiments, des vues et des intérêts. Alors peut-être à la faveur des lumières universellement répandues, devenait-il permis de rêver, pour la grande famille européenne, l’application du congrès américain, ou celle des Amphictyons de la Grècelxxxvii ; et quelle perspective alors de force, de grandeur, de jouissance, de prospérité ! Quel grand et magnifique spectacle.
Napoléon Bonaparte, propos du 11 novembre 1816, cité par Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène (1822–1823).
Pour lire le texte original en ligne (édition de 1823) : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=nyp.33433069328346
lxxxvii Le Conseil des Amphictyons, à Delphes, également proposé comme modèle par Henri IV, selon ce que rapporte Sully, se donnait pour objet la régulation des affaires publiques.